Modes d'expropriation des terrains détenus en pleine propriété

1- GENERALITES

2- DEFINITIONS DES CONCEPTS

2.1- NOTION D’EXPROPRIATION

2.2- NOTION D’UTILITE PUBLIQUE

2.3- NOTION D’INSUFFISANCE ET DEFAUT DE MISE EN VALEUR

3- EXPROPRIATION POUR CAUSE D’UTILITE PUBLIQUE

3.1- LE CADRE INSTITUTIONNEL LEGAL

3.2- LES CONDITIONNALITES

3.2.1- L’OBJET ET LE BUT DE L’EXPROPRIATION

3.2.2- LES ACTEURS DE L’OPERATION D’EXPROPRIATION

3.3- LES MODALITES D’INTERVENTION

3.3.1- LA PROCEDURE NORMALE

3.3.2- LA PROCEDURE EXEPTIONNELLE OU D’URGENCE D’EXPROPRIATION

4- EXPROPRIATION POUR INSUFFISANCE ET DEFAUT DE MISE EN VALEUR

4.1- CHAMP D’APPLICATION

4.2- MISE EN ŒUVRE

 

1- GENERALITES

Selon les procédures domaniales ivoiriennes héritées du colonisateur, l’Etat de Côte d’Ivoire, Puissance Publique, va matérialiser sa maîtrise des sols en proclamant sa propriété sur l’ensemble des terres domaniales en se fondant sur truisme suivant :

les dispositions du Décret du 29 septembre 1928 portant réglementation du domaine public et des servitudes d’utilité publique en Côte d’Ivoire, la théorie des terres vacantes et sans maître inexploitées depuis 10 ans selon le Décret du 15 novembre 1935,

la règle de l’immatriculation préalable au nom de l’Etat prescrite par le Décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française.

 

Mais, l’Etat de Côte d’Ivoire reconnaît la propriété privée foncière dont il garantit le respect aux particuliers.

Aussi, est-il nécessaire de souligner que divers modes d’acquisition foncière sur des terrains domaniaux s’offrent à la puissance publique pour acquérir la propriété de biens fonciers. Ces modes peuvent relever soit du droit privé comme du droit public, soit s’opérer à l’amiable ou forcé.

Cependant, seules les procédures relevant de l’expropriation pour cause d’utilité publique et l’expropriation pour insuffisance et défaut de mise en valeur seront évoquées dans notre exposé.

2- DEFINITIONS DES CONCEPTS

2.1- NOTION D’EXPROPRIATION

L’expropriation est un terme juridico-administratif utilisé à juste titre dans la procédure domaniale en vigueur à l’effet de priver quelqu’un (personne physique ou morale) d’une propriété immobilière pour cause d’utilité publique et moyennant une indemnité.

2.2- NOTION D’UTILITE PUBLIQUE

Notion à la fois essentielle et incertaine en droit administratif. Dans son acception générale, l'utilité publique d'une activité est l'élément principal de son rattachement à la catégorie des actes administratifs et partant à la compétence des juridictions administratives pour en connaître en cas de litige. Elle est alors synonyme d'autres mots voisins, tels ceux d'« utilité générale » et d' « intérêt public ». La nature d'utilité publique d'une activité peut ainsi suffire à donner à l'acte par lequel la gestion en a été confiée à une personne privée la qualité de contrat administratif ; elle peut aussi conférer à certains travaux la qualité de travaux publics. Plus généralement, l'utilité publique peut être, à elle seule, la marque d'une véritable mission de service public que la jurisprudence administrative considère comme l'un des critères fondamentaux de la définition du droit administratif.

Dans un sens plus précis, l'utilité publique a aussi été consacrée par divers textes légaux qui appliquent simplement à un domaine particulier certaines conséquences découlant de la notion générale. Ainsi, à côté des établissements publics, il existe des établissements d'utilité publique, personnes morales de droit privé poursuivant un but d'utilité publique, qui relèvent en principe du droit privé mais que la loi soumet à des règles spéciales pour en favoriser et en contrôler la gestion. De même la procédure légale de reconnaissance d'utilité publique est destinée à permettre à certains groupements de jouir d'une pleine capacité juridique et de bénéficier d'importantes subventions, en contrepartie d'un contrôle assez strict de leurs activités. Enfin, la loi organise la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, opération par laquelle une collectivité administrative oblige un particulier à lui céder la propriété de son immeuble dans un but d'utilité publique et moyennant une indemnité juste et préalable à l'expropriation.

2.3- NOTION D’INSUFFISANCE ET DEFAUT DE MISE EN VALEUR

Relativement aux procédures domaniales, toute parcelle déclarée insuffisamment mise en valeur ou faisant l’objet d’un défaut de mise en valeur ramène à un constat résultant, soit de l’abandon de ladite parcelle, soit l’absence ou l’insuffisance de tout investissement immobilier sur cette parcelle apprécié par rapport à l’emplacement de l’immeuble.

3- EXPROPRIATION POUR CAUSE D’UTILITE PUBLIQUE

L’expropriation pour cause d’utilité publique est un mode original d’acquisition des biens immobiliers par la puissance publique. Elle se définit comme l’opération par laquelle l’Etat ou d’autres personnes de droit public, dans un but d’utilité publique, contraignent un particulier à lui céder son immeuble détenu en pleine propriété, moyennant le payement d’une indemnité juste et préalable.

C’est l’une des manifestations les plus fortes des prérogatives de puissance publique en ce qu’elle porte atteinte à l’un des droits individuels auquel les particuliers sont le plus rattachés : le droit de propriété, droit fondamental présenté par la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 comme « inviolable et sacré » et protégé par la même déclaration en son article 17 ainsi que l’article 15 de la Constitution Ivoirienne de 2000 qui n’admettent la violation de ce droit que pour une cause d’utilité publique sous la condition d’une juste et préalable indemnisation.

3.1- LE CADRE INSTITUTIONNEL LEGAL

Au-delà de la Loi fondamentale de la République de Côte d’Ivoire en son article 15 sus visé, l’expropriation pour cause d’utilité publique est organisée par le Décret du 25 novembre 1930 modifié par le Décret du 24 août 1933 et du 8 février 1949 ainsi que la Loi n° 84-1244 du 8 novembre 1984 portant régime domanial des Communes et de la ville d’Abidjan. Ces textes précisent les conditionnalités du recours à l’expropriation pour cause d’utilité publique ainsi que les modalités de son intervention.

3.2- LES CONDITIONNALITES 

3.2.1- L’OBJET ET LE BUT DE L’EXPROPRIATION

Seuls les biens immeubles détenus en pleine propriété par les personnes privées (individus, associations ou sociétés, à l’exception des locaux des ambassades ou légations étrangères en vertu des privilèges et immunités diplomatiques) ou les personnes publiques (collectivités territoriales, établissements publics) relativement à leur domaine privé (la règle de l’inaliénabilité interdisant toute expropriation du domaine public), peuvent faire l’objet d’une appropriation en cas d’expropriation.

Seule l’utilité publique peut justifier qu’une personne soit privée, contre sa volonté, de son droit de propriété sur un immeuble ; en d’autres termes, l’expropriation ne peut être prononcée que pour cause d’utilité publique, c’est-à-dire dans le but de satisfaire un besoin d’intérêt général. Il faut préciser que la notion d’utilité publique en matière d’expropriation fait l’objet de contrôle par le juge administratif et l’opération d’expropriation est sanctionnée lorsque la cause d’utilité publique alléguée par l’administration n’est pas justifiée ou est inopérante.

3.2.2- LES ACTEURS DE L’OPERATION D’EXPROPRIATION

On distingue trois (3) catégories d’acteurs dans une opération d’expropriation :

Les expropriants :

  • L’Etat, seul compétent pour prendre les actes qu’exige la procédure d’expropriation.
  • Les autres personnes morales de droit public que sont les collectivités territoriales et les établissements publics sont également investies du droit d’initiative en matière d’expropriation. Toutefois, le législateur peut à travers des textes spéciaux reconnaître le droit d’initiative à des personnes privées (sociétés d’Etat, sociétés concessionnaires).
  • L’Etat demeure le seul titulaire du droit d’expropriation. Les autres entités se contentent de provoquer le déclenchement de l’opération d’expropriation qui est mise en œuvre par l’Administration étatique et ses démembrements.

Les expropriés :

  • Personnes publiques en ce qui concerne les biens immobiliers de leur domaine privé.
  • Personnes privées titulaires d’un titre de propriété sur le bien immobilier dont la puissance publique veut prendre possession.

Les bénéficiaires de l’expropriation :

Si généralement les bénéficiaires sont les expropriants, il n’en va pas toujours ainsi. L’expropriant peut être différent du bénéficiaire, c’est-à-dire, celui qui va recueillir dans son patrimoine le bien exproprié. En la matière, il est admis qu’un expropriant peut céder le bien exproprié à un tiers ne bénéficiant pas du droit de déclencher une procédure d’expropriation, alors que l’activité qu’il développe est profitable à la collectivité.

3.3- LES MODALITES D’INTERVENTION

Les modalités d’intervention de l’expropriation varient selon que l’opération est diligentée en période normale ou en cas d’urgence.

3.3.1- LA PROCEDURE NORMALE

En période normale, la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique comprend deux (2) phases :

La phase administrative :

C’est la phase de préparation. Elle est conduite par l’Administration et est marquée par quatre (4) étapes dans son déroulement qui sont :

  • L’adoption d’un acte (loi ou décret) autorisant les travaux à réaliser.
  • L’adoption d’un acte déclarant l’utilité publique des travaux (l’article 3 alinéa 2 du Décret de 1930) : la déclaration d’utilité publique a pour objet de constater l’intérêt général, le bien-fondé de l’opération et de permettre à celle-ci de s’effectuer avec la prise de possession des immeubles nécessaires à sa réalisation. La déclaration d’utilité publique est publiée par arrêté si l’utilité publique n’est pas déjà prononcée dans l’acte autorisant les travaux.
  • La réalisation d’une enquête publique de commodo et incommodo : elle est prévue par l’article 6 du Décret de 1930 supra cité et vise à informer les administrés, singulièrement les éventuels expropriés et à recueillir leurs avis.
  • L’adoption de l’arrêté de cessibilité : il a pour objet d’identifier les immeubles dont l’expropriation est poursuivie et son adoption doit intervenir au plus tard dans un délai d’un (1) an après publication de la déclaration d’utilité publique. L’arrêté de cessibilité doit être notifié aux propriétaires, occupants et usagers des immeubles visés et publié au journal officiel (JO) de la République de Côte d’Ivoire ainsi que dans le journal d’annonces légales de la situation des lieux. L’adoption de l’arrêté de cessibilité clôt la phase administrative et donne lieu à une tentative de fixation amiable de l’indemnité d’expropriation dont le résultat conditionne le déclenchement de la phase judiciaire.

La phase judiciaire :

Elle intervient qu’en cas d’échec de la procédure amiable conduite durant la phase administrative. Le Tribunal territorialement compétent est celui du lieu de situation des immeubles à exproprier. Le jugement d’expropriation rendu porte transfert de propriété des biens immeubles au profit de la collectivité expropriante et ce jugement est exécutoire, nonobstant toute procédure d’appel et moyennant consignation de l’indemnité d’expropriation qui est également fixée par le juge d’expropriation en cas de désaccord entre les parties. Le montant de l’indemnité est déterminé en tenant compte de la valeur de l’immeuble à la date du jugement d’expropriation, la plus-value ou la moins-value résultant de la partie de l’immeuble non expropriée ainsi que le dommage actuel et certain directement causé par l’expropriation.

3.3.2- LA PROCEDURE EXCEPTIONNELLE OU D’URGENCE D’EXPROPRIATION

Cette procédure est prévue et organisée par l’article 27 du Décret de 1930 sus visé aux termes duquel lorsqu’il y a urgence de prendre possession de terrains bâtis ou non, de bâtiments en bois ou autres matériaux provisoires soumis à l’expropriation, et notamment en matière militaire et d’assainissement, l’urgence doit être déclarée en même temps que l’utilité publique. Il est important de préciser que :

  • Cette procédure ne vise que les terrains non bâtis ou les terrains bâtis avec des matériaux provisoires ;
  • Il n’y a pas de phase administrative, ni amiable dans son déroulement car seule l’intervention du juge, qui, par référé, ordonne la prise de possession des immeubles concernés ;
  • La prise de possession des terrains par la collectivité expropriante est subordonnée à la consignation de l’indemnité d’expropriation.

4- EXPROPRIATION POUR INSUFFISANCE ET DEFAUT DE MISE EN VALEUR

L’expropriation pour insuffisance ou défaut de mise en valeur dite aussi « expropriation pour utilité économique » est une spécificité du droit ivoirien qui vise à sanctionner les propriétaires de biens immobiliers défaillants. Elle est prévue par la Loi n° 71-340 du 12 juillet 1971 réglementant la mise en valeur des terrains urbains détenus en pleine propriété.

C’est également une opération par laquelle des terrains urbains détenus en pleine propriété par une personne physique ou morale font l’objet d’un retour à l’Etat pour insuffisance ou défaut de mise en valeur constaté après cinq (5) ans de délivrance du titre de propriété.

4.1- CHAMP D’APPLICATION

Cette expropriation concerne les terrains urbains acquis en pleine propriété à quelque titre que ce soit. Le fait générateur réside dans l’insuffisance ou le défaut de mise en valeur desdits terrains urbains du fait soit :

  • De l’abandon du terrain ;
  • Du défaut ou de l’insuffisance de tout investissement immobilier eu égard à l’emplacement du terrain et à sa valeur vénale.

4.2- MISE EN ŒUVRE

Le constat de défaut de mise en valeur ou d’insuffisance de mise en valeur est prononcé par arrêté du Ministre en charge de la Construction et de l’Urbanisme. Une commission présidée par un Magistrat et comprenant cinq (5) membres dont un expert désigné par le propriétaire statue sur l’absence de mise en valeur et propose au propriétaire une vente de gré à gré.

En cas d’accord amiable, le transfert de propriété est réalisé au profit de l’Etat et l’abandon des droits pouvant grever l’immeuble est constaté par acte administratif.

En cas de désaccord, l’Etat prend sur lui de rembourser au propriétaire une indemnité déterminée par des experts ; à cette indemnité, s’ajoute une somme résultant du coefficient général de l’augmentation des prix. 

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